« La matière première qui pousse en Europe, ce sont les vêtements usagés », Sibille Diederichs, fondatrice de Joseffa

Depuis 2015, Joseffa transforme des chemises usées d'hommes en lingerie de nuit élégante pour femme. Depuis 2017, la marque est vendue en boutique de lingerie multimarques, notamment en Allemagne. En proposant une alternative aux vêtements fabriqués en usines à partir de fibres neuves, Joseffa fait face à de nombreux défis techniques et économiques. Mais pour sa fondatrice, pas question de renoncer à rendre viable l’économie circulaire dans le secteur de la mode pour réduire un jour la croissance choquante de la montagne des déchets textiles.

Atelier de Joseffa

 

Comment en êtes-vous arrivée à faire des pyjamas pour femme avec des chemises d’hommes ?

Le concept est né à l’occasion d’un séjour chez un couple d’amis, pour lequel j’ai dû me fabriquer un pyjama décent à partir d’une vieille chemise de mon mari, lorsque j’ai réalisé que j’allais dormir dans le canapé de leur salon. De là m’est venue l’idée de ce concept de lingerie de nuit ni trop sexy ni trop vieux jeu, à base de vêtements déjà utilisés. « Joseffa », c’est un prénom qui sonne un peu vieillot, mais il y a des petites filles qui le portent à nouveau. C'est comme les chemises que je fais renaître. Ce sont des vêtements « pre-loved », c’est-à-dire que quelqu’un a déjà chéri ces vêtements.

En quoi Joseffa s’inscrit-elle dans une démarche d’économie circulaire ?

Sibille Diederichs, fondatrice de la marque Joseffa
Sibille Diederichs dans son atelier.

La matière première qui pousse en Europe, ce sont les vêtements usagés ! Ils représentent une manne énorme de coton. Ce sont des matières premières locales, juste là à notre disposition. Or, quand vous achetez un pyjama neuf, celui-ci a été produit à base de coton neuf, qu’il a fallu planter, récolter, transformer en fil, puis en tissu, ensuite teindre, laver et transporter, avant d’avoir une matière à découper. Moi, je trie, je lave et je désassemble. Je réutilise la matière telle qu'elle est, tant qu'elle est en bon état. Je revalorise toutes les ressources contenues dans le tissu. J'épargne ainsi en énergie, en transport de tissus et vêtements, en produits chimiques, en utilisation de terres arables, en pesticides, mais aussi en eau, fortement utilisée pour la culture du coton.

Votre entreprise est-elle économiquement viable ?

Ce n’est pas encore rentable pour l'instant, même si je produis 500 pièces par an et qu’elles s'écoulent rapidement. Le potentiel est en réalité énorme : si j'avais des moyens de production appropriés, je ferais exploser mes ventes immédiatement. Le cœur du problème, c’est donc l’infrastructure de production. Je recherche des processus de production circulaires qui seront un jour applicables par toute l’industrie de la mode. En ce sens, Joseffa est pionnière et essuie les plâtres.

Est-ce un concept qu’on peut industrialiser ?

Mon défi, c’est d’automatiser le découpage de pièces existantes. C'est difficile actuellement car les chaînes de production sont organisées pour une production linéaire : on découpe dans un rouleau via un processus automatisé selon un logiciel de modélisme permettant de produire au plus bas prix possible. Ce processus automatisé ne s’applique pas pour un vêtement qui existe déjà, donc pour la matière première que j’utilise, les chemises d'homme usagées. Heureusement, j'ai déniché un excellent partenariat pour la couture, avec un atelier qui intègre les séries coupées dans son processus industriel classique.

Et le tri ?

Je dois les laver et les trier par couleur. C’est un travail facile que n’importe qui peut apprendre. Or, les centres de tri de vêtements ne peuvent pas s’organiser pour d’aussi petites quantités (1.000 chemises par an), qui sortent du cadre de leur modèle économique. Petit à petit j'arrive à être en contact avec des plus grands consortiums de recherche, où Joseffa est considéré comme un cas novateur. C'est un cas d’école qui pourrait permettre à terme une solution pour les vêtements usagés en Europe.

Vous recevez des subsides ?

J’ai eu de petites aides de l’AWEX pour la commercialisation de mes produits. Sinon, j’ai été lauréate du Rayonnement Wallonie en 2020 et lauréate Go Circular en 2021. Ces deux soutiens significatifs de la Région me permettent de faire de la recherche pour industrialiser les chaînes de production circulaire, et en faire profiter tout le secteur. J'ai, par exemple, avancé dans les techniques de tri et de désassemblage et j’ai pu acheter un cutter numérique automatisé pour échantillons, que je suis en train de customiser pour découper des vêtements. Cela n'a jamais été fait auparavant. Mais c’est possible grâce à de tels soutiens, qui ont compris la valeur de mon travail pour une transition circulaire du secteur de la mode.

Pyjamas de la marque Joseffa, confectionnés à partir de chem7ises d'homme usagées
Pyjamas de la marque Joseffa, confectionnés à partir de chemises d'homme usagées.

Comment avez-vous « mordu » à l’économie circulaire ?

J’ai toujours rêvé de travailler dans le secteur du textile sur des projets durables. Quand j'ai fait mon année d'apprentissage en techniques de confection dans un atelier à Anvers, je me demandais déjà ce qu'on pouvait faire avec les chutes de tissu, tellement ce qu’on jetait était énorme. On ne produisait pourtant pas en excès à cette époque, mais aujourd’hui, ce qu'on brûle comme vêtements neufs est choquant. Le véritable tournant, ce fut lors d’un congrès début 2000 autour de la production du coton, où j'ai appris que les cultures de coton nécessitent l’usage de défoliants, disséminés par avion, comme l’agent orange utilisé lors de la guerre au Vietnam ! Depuis ce moment, je cherche à mettre mes connaissances du métier et mon énergie dans des projets qui réduisent la pollution textile plutôt que de l’augmenter.

Vous êtes optimiste, alors ?

La raréfaction des ressources va contraindre au passage à l’économie circulaire. C’est déjà perceptible avec l’inflation actuelle. Plus nous serons nombreux à travailler dans l'économie circulaire, plus les systèmes productifs seront efficaces et donc abordables. Le passage au numérique s’est produit en à peine 10 ans. Si la volonté d’évoluer vers la circularité est aussi forte que celle pour la numérisation, nous atteindrons nos objectifs en à peine quelques années.

 

Jusque début janvier, Circular Wallonia vous présente chaque semaine des entrepreneur.e.s qui ont franchi le cap de la circularité. Vous aussi, faites perdurez votre entreprise ! Choisissez l’économie circulaire et réduisez votre consommation en énergie et en matières premières. Faites-vous soutenir dans votre transition circulaire !

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