« Pourquoi acheter du neuf alors que nous pouvons proposer des produits équivalents au tiers du prix ? », Thibaut Jacquet, Directeur et Fondateur de Retrival

La coopérative Retrival s’inscrit dans une démarche d’économie sociale et solidaire. Son objet, depuis sa création en 1997, est la formation et l’insertion pour les personnes éloignées de l'emploi. Son activité a toutefois évolué de la démolition et la collecte des déchets d’anciennes installations sidérurgiques vers la collecte, le recyclage et le réemploi de déchets issus de chantiers de déconstruction. Un métier de l’économie circulaire plein d’avenir…

ouvriers sur chantier

 

Vous êtes choqué quand vous voyez le contenu d’une benne dans un chantier ?

Nous n’arrêtons pas de nous indigner. Il nous arrive de déconstruire un immeuble de bureaux et de voir à côté un autre chantier qui jette sans vergogne. Tant qu'il n'y a pas d'obligation, pas d'incitation, les entreprises travailleront avec le prix et le délai comme seules références. Mais c’est une notion relative, car valoriser au mieux les déchets lors de leur tri permet de sérieuses économies.

Vous voulez dire que le réemploi est économiquement intéressant ? À caractéristiques techniques équivalentes ?

Pourquoi acheter du neuf alors que nous pouvons proposer des produits équivalents au tiers du prix ? Par exemple nos matériaux démontés dans des cloisons non exposées sont dans l’état où ils ont été posés. Nous ne donnons pas de garantie particulière, mais si nécessaire, nous avons de très bons contacts avec Buildwise (ex-Centre scientifique et technique de la construction, CSTC) qui peut faire de la certification sur un produit. La récupération à la source, c’est aussi un gain direct sur la facture déchets.

Quel est le marché du réemploi ?

Les filières existent déjà pour le matériel informatique et bureautique, ainsi que l’électroménager. En revanche, contrairement aux vêtements, le marché des matériaux de construction en réemploi est encore trop discret : le grand public n’a pas encore conscience qu’il existe une offre structurée. Chez les professionnels, c’est pire ! Les corps de métier ont leurs habitudes chez les fournisseurs alors que nous avons une très large gamme de produits, et même de bonnes marques.

 

Ouvriers démontant une vitre
Thibaut Jacquet et certains ouvriers de Retrival lors d'un chantier de déconstruction sélective.

 

Qui sont vos clients et que vendez-vous le plus ?

Nous avons des demandes hétéroclites, parfois étonnantes, en fonction des clients : des autoconstructeurs, des particuliers qui veulent isoler un grenier ou placer un évier supplémentaire dans le garage, mais aussi des entrepreneurs qui font la bonne affaire en achetant d’un coup 300 plaques de multiplex. Nous cherchons à mettre un maximum de produits aussi variés que possible sur notre catalogue en ligne. En 2021, nous avons traité plus de 4.000 tonnes de déchets et en avons remis 420 dans le circuit, soit dans nos filières propres comme Cornermat, soit chez des partenaires spécialisés.

Pouvez-vous donner une idée de la taille du gisement de matériaux propices au réemploi ?

C’est colossal. Pour vous donner une idée, les châssis remplacés en Wallonie représentent 30.000 tonnes par an. Imaginez si on en réemployait ne serait-ce que 2 ou 3% ! Peu de gens savent que les déchets de construction représentent trois fois la quantité de déchets ménagers. Vous n’avez pas idée de ce que les chantiers de rénovation peuvent jeter : nous avons même récupéré des kilomètres d’essuie-mains et de papier toilette tout neuf !

Thibaut Jacquet directeur de Retrival entreprise de déconstruction sélective économie circulaire Circular Wallonia
Thibaut Jacquet, fondateur et directeur de Retrival.

Avez-vous testé le réemploi pour vous-même ?

Notre architecte a conçu nos bureaux sur base des matériaux que nous avions récupérés des chantiers. Nous avons limité au maximum les achats neufs dans le bâtiment. Nos bureaux sont donc à plus de 80% en matériaux de réemploi. L’objectif est évidemment que cela reste invisible : les matériaux ont été déposés soigneusement, et donc reposés dans l’état où ils ont été prélevés.

Les marchés publics ont-ils un rôle à jouer pour favoriser le réemploi ?

Oui, bien évidemment. Les cahiers techniques pourraient être plus réfléchis afin de favoriser la circularité dans la construction publique, en ajoutant des rubriques supplémentaires proposant des variantes en réemploi par exemple. Ou alors en exigeant un pourcentage minimum de réemploi sur la construction, selon le degré de « circularité » souhaité pour le chantier. Ces éléments motiveraient sans aucun doute le marché et les acteurs à faire appel à des matériaux de réemploi. C'est en train de bouger en Wallonie mais nous sommes qu’aux prémisses des réflexions. On pourrait aussi imaginer que demain, les acteurs publics demandent des « inventaires réemploi » pour identifier ce qui peut partir dans des filières de réemploi avant une opération de démolition, de déconstruction et de transformation. Certains textes sont en préparation. Cela inciterait les entreprises à entrer dans cette démarche-là.

À quoi servent les aides régionales que vous avez reçues ?

Notre coopérative a des objectifs de rentabilité et de viabilité économique. Les subsides de Go Circular nous servent à structurer notre activité et faire de l'upscaling après test pour passer à une échelle plus professionnelle, dans la manière de travailler et sur les volumes. Une petite partie des subsides régionaux nous sert à stimuler l’insertion professionnelle dans le domaine de la déconstruction. Nos collaborateurs savent quasiment tout faire, du tri d'archives, à la dépose de châssis, du désamiantage à la collecte en camionnette. Nous avons 34 ETP et nous en créons en moyenne deux à trois par an.

Le réemploi est donc en plein essor ?

Le marché se développe et nous pouvons l’observer à plusieurs niveaux : le nombre de clients pour le rachat de matériaux (environ 15 à 20% de demande supplémentaire tous les mois) et le trafic de notre site Cornermat.be. Pour que ça décolle vraiment, il faudrait plus d’architectes motivés, tant sur la déconstruction préservante que sur la sensibilisation de leurs clients aux alternatives de matériaux en réemploi. En tout cas, pour notre part, nous prêchons sans relâche la bonne parole : Pourquoi jeter des matériaux alors qu’on peut les réemployer ? Pourquoi fabriquer de nouveaux produits quand certains sont prêts à l’emploi ?

 

Jusque début janvier, Circular Wallonia vous présente chaque semaine des entrepreneur.e.s qui ont franchi le cap de la circularité. Vous aussi, faites perdurez votre entreprise ! Choisissez l’économie circulaire et réduisez votre consommation en énergie et en matières premières. Faites-vous soutenir dans votre transition circulaire !

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